Elaine Champagne, l.o.p.
(ancien professeur à l'IP)
Conférence présentée à l'occasion de l'activité de la rentrée, le 28 août 2011
Nous ne pouvons pas faire le portrait de notre famille dominicaine sans parler de Catherine. La grande Catherine. Catherine de Sienne. Une femme du Moyen Âge. Une grande dame, humble et audacieuse qui se faisait affectueusement appelée mamma par toute une famille de disciples, alors qu’elle est morte célibataire, à 33 ans. Spirituelle jusqu’au mysticisme, passionnée pour le Christ, Vérité, engagée pour l’Église jusqu’au don le plus complet d’elle-même, Catherine ne connaît pas de demi-mesure. Au premier abord, elle peut paraître un peu intimidante, surtout s’il nous manque les clés de son époque et de son langage. Elle demeure une femme fascinante. Nous n’avons pas fini d’approfondir ce dont elle témoigne pour nous aujourd’hui.
Pour commencer, je vous propose quelques indications sur les contextes familial, historique, social et ecclésial dans lesquels elle s’est trouvée. Je retiendrai ensuite sur quelques traits de son action en Église.
Catherine a vécu dans une société profondément en crise. Elle naît en 1347 à Sienne, dans l’actuelle Italie, 23e d’une famille de 25 enfants. Elle habite donc la ville. Son père, teinturier, fait partie de cette nouvelle classe sociale qui, ni seigneur, ni paysan, connaît une prospérité financière et une influence politique toute nouvelle. Le système féodal ne fonctionne plus. Les grandes familles des villes telles que Sienne, mais aussi Milan, Lucques ou Florence luttent contre les seigneurs des lieux et rivalisent entre elles pour le pouvoir. Les paysans sont taxés pour payer la guerre ou recrutés pour combattre. Des mercenaires viennent remplir également les rangs des combattants. Les populations déjà appauvries sont affamées alors que d’une part les villes sont assiégées et que d’autre part, les troupes armées saccagent les champs. Pour compléter le paysage, la peste vient décimer ce qui reste des populations. C’est la pandémie. Catherine survit à 2 vagues de ce fléau, l’une l’année de sa naissance, l’autre en 1374, alors qu’elle a 27 ans.
Ce nouveau type de luttes de pouvoir n’est pas sans bouleverser toute une vision du monde. Déjà l’empereur germanique, qui était aussi roi de Rome, disputait au pape son autorité suprême sur les biens temporels. L’empereur cherche l’autonomie du pouvoir d’état. Il n’est pas seul. À la même époque, le roi de France revendique le droit de taxer les biens ecclésiastiques sur son territoire. Guerre. Excommunication. Tractations. Sous la pression du roi de France, et pour alléger le conflit, les cardinaux élisent en 1305 un pape français qui viendra s’installer à Avignon, prétextant fuir les troubles de Rome provoqués par l’empereur. À l’époque, Avignon n’est pas en territoire français mais sur une terre plus neutre. L’empire germanique a déjà perdu son influence faute de trouver un successeur à l’empereur. Il va se diviser en plusieurs duchés. Et le roi de France entrera avec le roi d’Angleterre dans la terrible guerre de 100 ans. Une guerre qui mettra une grande partie de l’Europe à feu et à sang.
Le pape résidant à Avignon, c’est dans cette ville que sera mise en place l’organisation de la curie en un système administratif inspiré des systèmes séculiers alors en développement. Et comme le séjour se prolonge, un palais est construit, le trésor y est gardé, des œuvres d’art viennent embellir les lieux. L’Église s’est laissée envahir par les « mondanités ».
Lorsque adolescente, Catherine renonce justement aux mondanités, refuse les prétendants au mariage que lui proposent ses parents et demande à devenir Mantellata, elle s’attire les foudres de sa famille. Les Mantellati étaient des laïques – et non pas des religieux – qui portaient le manteau, l’habit dominicain. Ils engageaient leur vie à la prière et à la pénitence, comme pour réparer ce qu’il pouvait y avoir de souffrance et de corruption dans le monde. Ces laïques dominicains – comme nous les appelons aujourd’hui – étaient aussi engagés dans le service des pauvres et le soin des malades. Ils recevaient régulièrement les enseignements des frères dominicains et se rassemblaient en fraternités solidaires.
Catherine a vécu ses trois premières années de laïque dominicaine – le Tiers Ordre dominicain – comme recluse. Après avoir vécue comme servante dans sa propre famille, ses parents lui avaient finalement accordée une petite pièce retirée de la maison où elle passait ses journées en prière. Elle vit sa foi dans une très grande intimité au Christ. Elle se vit sans cesse avec Lui, en sa présence. C’est ainsi qu’elle exprime que c’est ensemble qu’ils prient les psaumes.
Vers l’âge de 20 ans, elle comprend qu’elle est appelée à quitter sa chambre et intensifier les « activités de miséricorde ». Elle passe beaucoup de temps auprès des malades et des mourants et distribue largement la nourriture et les vêtements qu’elle reçoit de sa famille. Très tôt, elle est entourée dans son œuvre de compagnes et compagnons sur qui elle a une grande influence. Catherine parle et agit avec une grande assurance spirituelle en même temps qu’elle est très humble et dévouée à l’Église. On parle même d’extases et de visions. Les responsables du Tiers Ordre et des frères s’assurent de son orthodoxie, de la justesse de sa foi. Ils nomment le frère Raymond de Capoue pour l’accompagner spirituellement de même que son petit groupe, sa famiglia. Lui-même la considère comme un maître spirituel.
L’influence de Catherine se fait sentir aussi chez les grands. On sollicite ses conseils comme arbitre politique, comme conciliatrice ou pour des questions ecclésiales. Elle se déplace donc avec sa famiglia dans les grandes villes telles que Pise, Lucques et Florence. Elle ne ménage pas ses efforts pour l’Église et ses pasteurs. Elle écrit au pape qu’elle a rencontré pour l’encourager à revenir à Rome où sont vénérés Pierre et Paul. L’Église a besoin d’un pasteur qui apporte la réconciliation et la paix et qui témoigne de son enracinement au Christ et de son souci des personnes.
Élizabeth Lacelle, une théologienne contemporaine d’Ottawa, résume l’engagement public de Catherine en trois pôles : 1) la réforme de l’Église, 2) le retour du pape à Rome – condition nécessaire à la réforme, 3) la croisade – pour catalyser les énergies guerrières qui ravageaient l’Europe . Que l’Église « recouvre son premier état de pauvreté, d’humilité, de douceur, cette époque bénie où ses ministres n’aspiraient qu’à l’honneur de Dieu et au salut des âmes, s’attachant aux biens spirituels et non pas temporels. » Plutôt que de penser à faire la guerre aux nobles, plutôt que de chercher à préserver leur amour-propre, que les évêques et les prêtres, à commencer par le pape, se soucient des populations décimées, affamées, outragées, qui ont besoin de vrais pasteurs.
Bien qu’elle soit femme et laïque, donc sans pouvoir, Catherine ne craint pas de dire une parole vraie aux dirigeants de son temps. Elle milite en faveur de la paix. Le dominicain contemporain Éric de Clermont Tonnerre propose trois éléments qui précisent l’actualité de Catherine pour notre Église aujourd’hui. Je cite des extraits de son commentaire:
Catherine a écrit (ou fait écrire) plus de 300 lettres, sans compter un grand nombre de prières (oraisons) et son Dialogue, un texte mystique d’enseignements spirituels. Même dans ses engagements politiques, Catherine s’inspire toujours de perspectives évangéliques. Son action n’a pas toujours eu le succès escompté. Grégoire XI est revenu à Rome mais les cardinaux ont ensuite élu 2 papes qui se disputeront la succession de Pierre pendant encore plusieurs décennies. Mais sa famiglia a poursuivi son œuvre, inspiré de ses enseignements. Elle meurt à 33 ans – âge déjà mûr pour l’époque, meurtrie par la déchirure qui traverse la chrétienté européenne, dans une attitude d’offrande pour l’Église.
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