Goto main content

Conversion et éducation de la foi

Conversion et éducation de la foi

Daniel Cadrin, o.p., Institut de pastorale

Expérience soudaine ou fruit d'un long cheminement, la conversion est un changement d'horizon. Elle peut advenir de façon surprenante dans le cours de notre existence et en bouleverser les repères, comme plusieurs figures en témoignent dans l'histoire, de Paul de Tarse à Dorothy Day, en passant par Blaise Pascal, Simone Weil et Thomas Merton. Elle peut aussi s'inscrire au fil des jours dans un lent processus de transformation qui a des effets aussi profonds que les événements plus intenses. Ces différences de forme relèvent habituellement des parcours individuels et des tempéraments. Mais dans les deux cas, la conversion est à la fois événement et processus, car l'événement datable est l'aboutissement d'une quête, consciente ou non, et le cheminement comporte des moments uniques qui marquent des passages.

Ces expériences de conversion adviennent à des gens souvent loin de la foi chrétienne et de sa pratique, comme aussi à d'autres qui, ayant reçu une formation chrétienne, ont pu connaître une ferveur dans leur jeunesse, puis s'en sont éloignés à cause de raisons multiples, relevant tant de la vie ecclésiale et du contexte culturel que de motifs personnels. Elles touchent aussi des croyants au parcours continu qui ont vécu leur foi dans une régularité tiède ou une fidélité sérieuse et qui tout à coup accèdent à une expérience spirituelle nouvelle et transformante ; leur foi acquiert une densité et une profondeur qu'ils n'avaient jamais soupçonnées.

Les études actuelles abondent pour mieux comprendre la conversion : j'en signalerai quelques éléments significatifs. Un problème fréquent est la suite donnée à ces expériences de conversion, quelle que soit leur qualité : j'indiquerai quelques pistes, en éducation de la foi, qui peuvent aider à avancer.

Conversion et crise

Le processus de conversion engage l'être humain dans tous ses dynamismes : il touche la vie intellectuelle, morale, affective et religieuse. Chacune de ces dimensions tend vers une appropriation et un décentrement de soi, qui posent l'être humain comme sujet capable de connaissance, de responsabilité, d'amour et d'ouverture à une réalité transcendante. Ce mouvement vers une vie plus authentique est provoqué par les expériences de conflits et de crises : un dilemme moral qui oblige à faire un choix difficile ou la perte d'une personne aimée qui nous laisse désemparé ou l'écroulement de la religion reçue, incapable de répondre à des nouvelles questions de sens. Ou parfois de simples transitions dans nos vies : un changement de travail, le passage à la quarantaine, la rupture d'un couple, la découverte de souffrances humaines qui nous bouleversent. Dans ces moments de crises et de passages, les repères qui nous guidaient et donnaient un ordre à l'univers deviennent insuffisants pour permettre une traversée sur une autre rive. Nous nous retrouvons démunis et désorientés.

Les mots et les images qui nous servaient à nommer le monde et nous-mêmes ne parlent plus ; ils répètent un cadre de réalité qui a cassé ou qui nous semble trop étroit. Ils n'expriment plus ce que nous percevons et ce qui nous habite. Ils deviennent comme des vêtements trop petits auxquels nous sommes attachés parce qu'ils portent notre histoire, ils ont l'odeur de nos souvenirs, mais au lieu de nous exprimer et protéger, ils nous étouffent et portent à faux. Et comme Job, les paroles de consolation de nos proches ne nous sont pas utiles et nous semblent sans pertinence. Dans une société où le langage dominant est celui de l'action et de la performance, des relations courtes et des gestions efficaces, le sentiment de désorientation est accentué ; le répertoire des catégories courantes ne peut aider à voir clair et à aller plus loin. De même dans une Église où la rigueur des certitudes ou les services à la carte donnent le ton.

Cette crise, ou ce temps de transition, peut passer sans que rien ne se produise. Mais elle peut aussi donner naissance à une quête. Le désir éveillé se met à explorer, en lui-même et autour de soi, d'autres possibilités de comprendre, de décider, d'entrer en relation avec autrui et avec le Dieu inconnu. Cette recherche, plus ou moins consciente, comprend ses temps d'étonnement, de déception, d'attente et de découverte. Elle culmine en une expérience de saisie, intuitive ou plus articulée, qui est vraiment le point tournant et qui résout la crise. Cette étape sera suivie par un renouvellement des énergies qui relance dans la vie, puis par un temps d'interprétation qui inscrit le changement dans une histoire personnelle, avec son passé et son avenir, et dans un univers de convictions partagées avec d'autres.

L'itinéraire parcouru et l'émergence d'un nouvel horizon de sens ne sont perceptibles qu'à long terme, par un regard qui saisit l'ensemble du parcours, ses points tournants et ses piétinements, ses fuites et ses relances, et y lit une histoire de sens, une histoire sainte : celle d'une alliance avec le Dieu vivant dans ses fidélités et ses ruptures, ses nécessaires rencontres et distances. Et le chemin reste ouvert, le moment transformant n'est jamais garant d'une avancée linéaire et certaine. Les détours divertissants et les retours en arrières restent possibles, comme aussi les saisies qui nous approchent du mystère ardent, dans l'abandon et la confiance.

Une transformation et ses risques

Dans ce travail de deuil et de naissance, qui touche au monde des convictions, quatre réalités de la condition humaine sont touchées pour être restructurées, réorganisées en un nouvel ensemble. 1) Le monde où nous vivons, cet environnement humain et culturel qui est construit : celui-ci est recomposé pour inclure ce que l'expérience de transformation a acquise. 2) Le soi, cet individu unique et fabricant de sens : il entre en relation, réfléchit, fait des choix et cherche un sol fondateur de son être. 3) Le vide ( »void »), ou la possibilité de non-être : cette séparation de la source de vie  affecte le monde et le soi, les menaçant de destruction ; la mort en est la métaphore ultime. 4) Le saint ( »holy »), ou la possibilité d'une création nouvelle pour le monde et le soi, par-delà le vide et la mort : cette réalité sacrée est finalement la présence du Dieu vivant, de son Esprit, qui peut transformer l'existence. Si l'une de ces réalités est esquivée, la conversion ne pourra donner tous ses fruits. La première et la troisième sont souvent sous-estimées, les convertis ou les gens qui les accompagnent se concentrant sur le soi et le saint.

Une transformation sérieuse ne peut advenir sans qu'il y ait écroulement des perspectives et structures précédentes, dépassement du vide, saisie personnelle et décision. Alors, il devient possible de recomposer des significations et des valeurs, des attitudes et des comportements en une nouvelle perspective, plus cohérente, ne rejetant pas tout ce qui précède mais l'intégrant en un nouvel horizon. Alors vraiment un passage est accompli. Ce passage n'est pas automatique. La quête peut être abandonnée, pour de multiples raisons. Ou au lieu d'un passage à un nouvel horizon, qui correspond à ce qu'on appelle en développement de la foi un changement structurel ou vertical vers une nouvelle phase, il peut se produire plutôt une conversion latérale. Il y a apparemment un changement marqué : une incroyante devient catholique, un ex-militant se fait bouddhiste, un luthérien distant revient à l'Église, une catholique passe au New Age, etc. Mais leur univers de convictions, dans sa structure et ses perspectives, demeure fondamentalement le même, avec le même visage de Dieu, les mêmes peurs et espoirs, les mêmes accents, nommés différemment. Il n'y a pas de changement structurel mais une variante de la même étape. Le rapport à la loi sera vécu de la même manière, soumission ou révolte, qu'on soit catholique ou New Age. La religion de l'enfance est réactivée sans qu'il y ait passage à une foi plus adulte.

Même quand il y a véritable transformation, accès à un horizon neuf, celui-ci n'est jamais acquis. Les déviations et les régressions restent possibles. Ce point suscite discussions et controverses, mais je crois que le développement humain et spirituel n'est pas une ligne droite qui monte automatiquement, sans jamais retomber.« Rien n'est jamais acquis à l'homme, ni sa force ni sa faiblesse », comme dit la chanson d'Aragon. Les possibilités de vide, d'aliénation et de dérive demeurent. C'est parce que l'expérience spirituelle peut être profondément libératrice qu'elle peut être aussi profondément destructrice, quand elle dérape. L'idole se profile toujours, demandant notre culte. La conversion brise l'idole pour accéder à un nouveau visage de Dieu, mais celui-ci, pour rester vivant, doit demeurer radicalement mystérieux et autre, nous attirant toujours plus loin et plus proche, au-delà des masques figés et des figures illusoires de puissance

L'éducation de la foi

Après le moment transformant, qu'advient-il ? Il peut laisser dans la confusion ou donner suite à des enthousiasmes successifs, mais sans qu'une réelle croissance spirituelle n'advienne. Les gens ont entendu un appel à un engagement personnel, mais ils ne savent pas toujours quoi  faire et comment comprendre ce qui leur arrive. Ils vont chercher des personnes, des groupes, des lectures qui puissent les aider à en dénouer le sens et la portée. Ils s'impliqueront dans un mouvement, ils iront à des cours de Bible ou à des rencontres de recommençants, ils trouveront un guide spirituel, ils liront ce qui leur tombe sous la main. S'ils ne trouvent rien de soutenant autour d'eux, ils laisseront peu à peu tomber cette recherche, car les préoccupations et tâches quotidiennes demeurent, absorbant les énergies. L'horizon nouveau, entrevu, demeurera comme un secret intérieur mais non exploré, dont les contours s'effaceront peu à peu. Il ne suffit pas de se convertir, encore faut-il trouver des moyens pour en déployer les significations et les conséquences.

Les gens trouveront un soutien à leur  processus de conversion d'abord dans les relations avec des proches et des témoins, qui leur offrent amitié, qui les guident et les aident à se démêler, et dans la prière personnelle, communautaire et liturgique. Rien ne peut remplaces ces soutiens. Mais ils ont aussi besoin d'activités, de lieux et de temps pour explorer plus consciemment ce chemin nouveau sur lequel ils s'engagent et celui dont ils s'éloignent, pour reconstruire un nouvel univers de significations et de valeurs. Les pratiques éducatives de la foi peuvent alors jouer un rôle crucial. Si elles ne peuvent produire ou remplacer la conversion, elles peuvent toutefois aider à grandir dans la foi. Mais de quelles manières et à quelles conditions ?

L'éducation de la foi peut soutenir ce processus de conversion non pas en tous ses aspects mais dans sa dimension d'apprentissage. Elle le fera avant tout par le dialogue avec une tradition vivante, qui pose des fondations et appelle à une transformation personnelle, sociale et ecclésiale. Cette tradition, avec ses témoins, ses récits, ses rites, ses enseignements et ses pratiques, en offrant une altérité proche, permet de dépasser le centrement sur soi et le subjectivisme clos. Le dialogue entre un sujet apprenant, qui a sa propre histoire et son existence consistante, et cette tradition en développement au cours des âges permet de dépasser l'objectivisme étroit et les fondamentalismes.

À travers ses diverses formes, du groupe de Bible à l'autobiographie spirituelle, des rencontres sur le credo à celles sur l'engagement social, de l'échange sur des figures spirituelles à une formation théologique poussée, l'éducation de la foi offre un soutien aux phases d'éveil, d'initiation ou de maturation de la foi. En regard du processus de conversion, son rôle est multiple : mettre en lumière les continuités et les ruptures dans l'itinéraire de foi, nommer et interpréter les passages vécus ; poser et clarifier les fondements bibliques, théologiques et personnels ; établir un rapport au contexte socio-culturel et pluri-religieux ; envisager des pistes de croissance et des défis pour l'avenir ; favoriser des formes d'expression et de communication de la conversion dans ses découvertes et ses limites, ses questions nouvelles. Elle aidera ainsi à reconnaître et dépasser les risques de déviations et de régression. Ce qu'elle peut offrir, c'est avant tout des instruments, un milieu et un langage qui soient soutenants pour la phase de recherche, qui précède la conversion, et pour celles de l'engagement et de la réinterprétation qui la suivent.

Institut de pastorale des Dominicains
2715, chemin de la Côte-Ste-Catherine 
Montréal (Québec) H3T 1B6
Téléphone (Ottawa): (613) 233-5696
Courriel: info@dominicanu.ca

Créé par Communications et Société propulsé par SedNove