Michel Nolin,
Bulletin EN MARCHE du diocèse de Gatineaul, septembre 2009 et mars 2010
« Toute marche est une marche spirituelle »
Sagesse celte
Depuis plusieurs années, l’Église se remet en question face à la désertion de ses lieux de culte, le nombre de croyants pratiquants se raréfie, forçant ainsi la fermeture de plusieurs églises au grand désespoir de certains pratiquants. Un débat s'instaure parmi les responsables : pourquoi cette désaffection des lieux, qu’arrive-t-il à tous ces croyants de jadis, ce Québec presqu’à 100% catholique et pratiquant ?
Cette désertion des lieux de culte entraîne une réflexion saine, mais souvent douloureuse, sur le comment et le pourquoi de la transmission de la foi. Devant ce phénomène, on peut assigner différents blâmes en disant que beaucoup de croyants sont devenus indifférents face à la foi ou encore que la société propose des modèles de vivre ensemble qui sont incompatibles avec la foi chrétienne. On peut adopter une attitude de repli et de méfiance face à la société d’aujourd’hui. C’est ainsi qu’on verra naître des groupes fermés voulant se protéger de l’influence extérieure ou encore on voudra préserver les enfants de cette influence néfaste, on invitera les parents soucieux de donner une éducation chrétienne à leurs enfants à les soustraire du système public d’éducation et à faire l’enseignement à la maison.
On peut aussi décider d’adopter une attitude plus positive face à ce phénomène, prendre le temps de se regarder, de faire son propre « examen de conscience » afin de découvrir les erreurs et les lacunes du passé. Une fois cette analyse critique faite, il est maintenant possible de se tourner résolument vers l’avenir. Ce qui me semble essentiel c’est d’arrêter de broyer du noir et de rêver au « paradis perdu », trop de responsables ecclésiaux rêvent de ce temps passé. Libéré de ce passé souvent enjolivé et écrasant, il est possible de mieux comprendre les réalités de la société dans laquelle nous évoluons. Un regard neuf nous propulse vers l’avant. Ce regard tourné vers l’avenir, nous permet de transmettre à nos contemporains une parole qui fait sens et qui vient les rejoindre au plus profond de leur être. Jacques Grand’Maison l’a bien souligné lorsqu’en 1997, s’adressant aux membres du Réseau Culture et Foi, il affirme ceci :
« Si le partage de la foi est l'assise la plus vitale du "faire Église", je serais mal venu de jouer ici une parole impersonnelle sans risque de ma part, surtout après avoir tant pesté contre un certain style clérical de pure courroie de transmission, de langue de bois surcodé, prépensé, prédigéré, préformé, prédéfini. Ce souci s'enracine jusque dans ma foi au Dieu de la Bible et de Jésus qui, en nous risquant libres comme Lui, acceptait d’être une parole parmi d'autres et d'entrer dans une aventure où rien n'est joué à l'avance. Ce qui déjà met en cause d'immenses pans de notre propre héritage religieux... »
Le défi auquel, me semble-t-il, l’Église est confrontée est celui d’allier culture et foi. La question que certains se posent : la religion n’est-t-elle pas une culture en elle-même ?
« Les sociologues définissent souvent une culture comme un ensemble de coutumes, de lois, de valeur et de rites qui constituent l’identité collective d’une communauté et déterminent l’interaction de ses membres. La remarque que je voudrais faire ici, c’est que les sociologues ne sont pas les seuls à regarder le catholicisme comme une culture : l’Église elle-même, en reconnaissant son développement guidé par l’Esprit au cours des siècles, se considère comme une culture… Mais si le catholicisme est lui-même une culture, comment peut-il être inculturé dans les diverses traditions culturelles ? »
En ce qui concerne l’expérience religieuse du Québec, la réponse est définitivement oui. Le quotidien Le Droit a publié un article qui s’intitulait : « Catholiques de culture ? ». Dans cet article on montrait jusqu’à quel point les sacrements de l’initiation chrétienne étaient pour bon nombre de personnes une « affaire de culture » : « Un bon nombre de parents […] veulent transmettre une tradition religieuse à leurs enfants. C’est une des raisons majeures pour lesquelles les parents demandent les sacrements pour leurs enfants. »
Doit-on alors parler de « catholiques culturels » et de « catholiques pratiquants » ? Une telle distinction ne ferait qu’embrouiller les choses et serait au fond discriminatoire. Le défi ici est d’opérer le passage de l’un à l’autre. Il faut construire des ponts entre culture et foi. Un pont entre catholiques culturels et catholiques pratiquants afin de permettre à chacun de trouver sa place et de devenir un croyant ou une croyante à part entière. Pour arriver à construire ces ponts, il nous faut passer par des leviers de transition. Ces leviers permettront un arrimage entre foi et culture. L’opération me semble délicate car pour un bon nombre la culture est la religion et ceci est particulièrement vrai au Québec : « Nous sortons à peine d’une histoire de chrétienté où la culture religieuse se substituait à la culture tout court. »
Le premier levier de transition est une émancipation de la culture par rapport à la religion. Si nous voulons être capables de bâtir des ponts il faut pouvoir distinguer foi et culture. Comme je l’ai mentionné plus haut, les deux étaient intimement liés dans la culture québécoise. Cette émancipation verra le jour durant la « révolution tranquille. » Cette émancipation commencée lors de la révolution tranquille se poursuit toujours.
« C'était le 22 juin 1960. Pour la première fois depuis seize ans, le Québec boudait l'Union nationale pour porter au pouvoir le Parti libéral. « C'est le temps que ça change ! », affirmait le slogan électoral libéral. Le parti tiendra sa promesse, même si ses membres ignorent l'ampleur de la réforme qu'ils entreprendront. Quelques semaines seulement après l'élection, un journaliste torontois parlera de Quiet Révolution pour qualifier les changements apportés par le gouvernement de Jean Lesage. Le nom restera : Révolution tranquille. Fini la « grande noirceur » et le laisser-faire de l'époque duplessiste. Québec sépare l'État du clergé et s'investit davantage dans le fonctionnement de la société québécoise. En quelques années, des bouleversements profonds se succèdent rapidement : réforme du système d'éducation, instauration de l'assurance hospitalisation, recrutement d'une fonction publique nombreuse, mise sur pied de divers leviers économiques, nationalisation du réseau d'électricité, ouverture sur le monde... Sous la gouverne de « l'équipe du tonnerre », la société québécoise s'affirme et se donne les outils pour entrer dans la modernité. »
Un autre moment important de cette émancipation se produit lors de la publication par Paul VI de l’encyclique Humane Vitae publiée le 25 juillet 1968. Ainsi les gens face à la position de l’Église en matière de contraception ont pris un recul et ont décidé de faire ce que leur conscience leur dictait. Ce sont les femmes qui ont initié ce mouvement. Non seulement au Québec mais à travers le monde on prend davantage appui sur sa conscience personnelle plutôt que de s’en remettre à un discours extérieur à soi. Cette façon de procéder vient modifier de façon irréversible le rapport entre foi et culture.
Un des derniers effets de cette émancipation québécoise est la loi 118 « Loi modifiant diverses dispositions législatives dans le secteur de l’éducation concernant la confessionnalité » adoptée le 14 juin 2000.
La culture d’aujourd’hui est différente et elle se distancie de la religion dans un effort d’identification : « Moi, dit une agente de pastorale, je puis nommer ma foi, mon identité chrétienne, mais ma culture, je ne sais pas. Et quand j’essaie de mettre ensemble l’une et l’autre, je ne sais plus ni l’une ni l’autre. »
Il nous faut apprendre à se tourner résolument vers l’avenir, et se libérer de ce pessimisme maladif qui ronge les communautés chrétiennes. Affranchis de ce fardeau du passé où culture et foi existaient de façon indistincte, il est maintenant possible de regarder devant soi et d’aller de l’avant. Il nous faut apprendre à entrer en dialogue avec la culture dans laquelle nous évoluons. Il faut nous éduquer à penser notre foi chrétienne avec notre culture actuelle. Ceci sera possible dans la mesure où notre foi chrétienne sera empreinte de maturité :
« La rencontre de la foi et de la culture invite à un dialogue. Ce dialogue peut naître dans la conscience personnelle de chaque croyant ou croyante, mais il peut et doit se développer dans l’espace ecclésial tout entier pour que l’Église du Québec puisse mieux saisir le sens et la valeur des mutations culturelles que connaît le milieu et pour que le discernement nécessaire permette à l’Église d’exercer sa mission et son service dans le monde où elle a ses racines. »
Le second levier de transition est d’habiliter les croyants à « penser culturellement leur foi chrétienne et chrétiennement leur culture.» C’est au niveau de ce second levier de transition que se situe l’éducation de la foi des adultes que d’autres appellent catéchèse des adultes. C’est sur ce levier de transition que j’aimerais m’attarder maintenant.
Parler d’éducation de la foi des adultes ou de catéchèse d’adultes n’est pas une question facile. La tentation est forte d’utiliser les mêmes méthodes qu’on utilise avec les enfants. En général, c’est la seule méthode souvent que les agents et agentes de pastorale ainsi que les ministres ordonnés connaissent. Ils ont l’habitude « d’enseigner», « d’instruire », des enfants ou des jeunes adolescents qui se préparent à recevoir un sacrement. C’est là la pratique habituelle. En utilisant les mêmes modèles, on risque ainsi d’infantiliser les adultes, de les empêcher de devenir adulte dans la foi : « Il existe malheureusement des éducateurs infantilisants dont les attitudes ou les manières de voir nuisent à la maturité de la foi. »
Pour une véritable éducation de la foi des adultes, les intervenants doivent accepter de se tourner vers les sciences afin de mieux saisir comment se développe un adulte. Les approches scientifiques sont nombreuses et variées : la biologie, l’anthropologie, la philosophie, la sociologie, l’histoire, la psychologie, la pédagogie, l’andragogie et combien d’autres. La question qu’on doit se poser est : que disent toutes ces sciences sur l’âge adulte ?
Une chose est certaine, la conception statique de l’âge adulte est révolue. Dans le passé, il semblait que seul l’enfant pouvait évoluer, pouvait se transformer. La formation religieuse se concentrait sur les enfants car il était essentiel de leur inculquer tous les principes religieux et moraux afin de leur permettre de vivre une « vie chrétienne adulte » sans faille. L’âge adulte était alors perçu comme statique : « Durant des siècles, on considérait l’enfance comme l’âge du devenir et de la mise en place progressive des aptitudes et attitudes humaines. L’adulte, pensait-on, avait terminé sa croissance psychologique et atteint son apogée. »
Les sciences, nous montrent qu’il en est tout autrement. L’adulte ne doit plus être considéré comme statique mais dynamique. À l’âge adulte, des changements s’opèrent, il y a de nombreuses transformations et métamorphoses qui surgissent au fil des années. Qui oserait dire que le jeune adulte et le vieillard sont identiques ? Si tel est le cas comment pourrait-on offrir une formation adulte unique, uniforme ? L’être adulte est un être en transformation, qui dit transformation dit changement, évolution. L’adulte est un être en marche vers sa réalisation pleine et entière vers sa maturité. Si cela est vrai au niveau des sciences, il en est de même dans le domaine de sa foi, il est aussi en marche vers sa pleine réalisation spirituelle, vers sa maturité de foi. Le chrétien adulte n’est pas un être figé mais un être en mouvement en transformation. Son développement s’opère de façon séquentielle, par petit bout, parfois il y a des accélérations. Au fil des jours, au fil des ans, il se métamorphose. Ainsi en est-il de sa vie de foi. Chacun le fait à son rythme, à sa manière car chaque personne est unique :
« Car tout en étant semblables dans leur développement, les adultes sont toujours des personnes uniques. Il est donc inutile de vouloir enfermer quelqu’un dans des catégories rigides ou de se forcer soi-même à passer au stade suivant…Il est des tâches liées au développement qui doivent s’apprendre à tel moment. C’est l’importance du moment favorable ("kairos"). »
Il est important en éducation de la foi des adultes de bien saisir ce que cela signifie : il n’est plus possible de s’adresser aux adultes de façon indistincte et neutre. Par manque de ressources en personnel, les communautés chrétiennes proposent des parcours souvent trop uniformes et sont déçues lorsque la participation est faible. Ce que ces formateurs ne réalisent pas c’est qu’il faut un cheminement qui répond aux besoins de chacune des personnes. Il n’est plus possible de proposer des parcours uniques des documents uniformes pour tous. C’est certainement la façon de faire qui se gère le mieux mais quels résultats peut-on en espérer ?
De plus en plus, les intervenants et intervenantes en pastorale, doivent accepter de faire route avec les personnes pour mieux saisir les différents chemins qu’elles empruntent. Les formateurs et formatrices, doivent renoncer à un « faire » qui les jettent dans l’action qui leur donne l’illusion de savoir ce « dont les gens ont besoin » et les empêchent d’être à l’écoute. Il faut que le formateur, la formatrice emprunte les chemins de l’andragogie qui permettent de mieux comprendre et de mieux accompagner la personne dans sa démarche de maturité spirituelle.
La tentation de savoir ce dont les personnes ont besoin et de se lancer dans le faire est toujours présente car il faut toujours justifier le pourquoi de sa présence comme personne bénévole ou le pourquoi de son salaire comme personne embauchée par la communauté chrétienne. Ce que l’andragogie nous apprend, c’est que chaque adulte est responsable de sa formation. L’adulte est donc responsable de la maturation de sa foi. Cela ne veut pas dire que les formateurs ne font plus rien, attendent que les demandes viennent pour offrir des formations.
Autrefois, on pensait qu’une fois l’initiation sacramentelle faite, l’essentiel de la formation chrétienne avait été donné et cela suffisait pour le reste de la vie. Une fois les sacrements reçus la personne avait atteint la maturité de la foi. À la lumière de la démarche andragogique, il est clair que cela n’est pas le cas. Elle s’appuie sur les recherches scientifiques faites concernant la personne humaine. Le cheminement de chacun et chacune est différent, il n’y a pas un chemin unique qui conduit à la maturité. Ainsi donc, il y a une diversité de façon de vivre sa foi, de marcher vers sa maturité spirituelle.
Pour les agents et agentes de pastorale et les ministres ordonnés, il est important de prendre le temps de se poser des questions sur leur cheminement personnel, sur « comment j’apprends ma foi » : ma façon de comprendre et d’expliquer les choses de la foi. En effectuant une telle démarche, ils prendront conscience qu’il n’est pas possible d’imposer une vision ou une façon de faire unique ou d’imposer leur point de vue comme seule manière de cheminer vers la maturité de la foi. Une question de fond demeure : qu’est-ce qui est de l’ordre de la « vérité universelle » ? Comme formateur, formatrice, il faut souvent se poser cette question, cela aide à mieux se recentrer sur l’essentiel.
Une question surgit : qui sont les « apprenants, les apprenantes dans la foi » ? Qu’est-ce qui les caractérise ? Les apprenants et apprenantes dans la foi ne sont pas différents des autres apprenants. Ce qui les caractérise, c’est le caractère volontaire de l’engagement dans la formation. On ne peut pas obliger un adulte à suivre une formation et comme formateur ou formatrice, on doit toujours partir du principe que les personnes qu’on forme sont là volontairement et ont le désir d’apprendre. Une autre caractéristique de l’apprenant adulte est sa résistance au changement, il s’appuie souvent sur son expérience pour justifier le statu quo. Enfin ce qui sera le facteur décisif dans son désir d’apprendre, est la remise en question et des besoins qui en résultent. Le piège qui guette tous les apprenants de la foi est l’activisme :
« Une autre stratégie pour éviter d’apprendre dans la foi consiste à fuir dans un activisme fébrile mais périphérique par rapport à l’option centrale de la foi. On peut être hyper occupé dans mille tâches de la paroisse et être membres de plusieurs comités et groupes de celle-ci, sans jamais investir dans l’approfondissement de sa foi. »
Les remises en question que font les apprenants et apprenantes dans la foi sont provoquées soit par des changements dans la vie familiale tel le mariage, la naissance d’un enfant, une séparation, un divorce, la maladie, la mort d’un enfant ou d’un conjoint etc… ou la vie professionnelle tels la fin des études, un premier emploi, une perte d’emploi, la retraite etc…, toutes ces situations qui sont des phases de la vie entraînent des remises en question. Le défi du formateur ou de la formatrice est d’être capable d’accompagner ces moments de la vie. Comme je l’ai déjà mentionné plus haut, cela ne peut pas se faire de façon uniforme. Souvent les agents et agentes de pastorale et les pasteurs disent que « l’Église n’est pas un super marché ». Pourtant le super marché est très utile dans notre société, lorsque j’ai besoin d’un produit en particulier je sais qu’en allant au super marché je trouverai ce dont j’ai besoin. Ce genre de commerce me rend service et je l’apprécie. Alors qu’y a-t-il de mal à transposer cette image à l’éducation de la foi ? C’est lorsque l’apprenant ou l’apprenante dans la foi fait une prise de conscience et a besoin de formation ou d’accompagnement voilà le moment favorable. Si une personne vient me trouver et me dit qu’elle a donné naissance à un enfant et désire le faire baptiser pour célébrer avec ses proches cet événement quelle sera mon attitude ? Dois-je lui répondre qu’il est trop tard, qu’elle aurait dû s’inscrire il y a trois mois et qu’il faudra qu’elle attende la prochaine préparation dans six mois ou l’accueillir, l’écouter et voir comment je peux répondre à son désir de souligner un évènement important : « On gagnerait plutôt à représenter les activités pastorales et les activités catéchétiques comme des relais auxquels s’arrêtent des voyageurs à différents moments de leur existence vécue comme un itinéraire. »
Qu’il s’agisse d’une halte pour voyageurs, ou d’un super marché ce qui est important c’est de respecter l’adulte qui chemine dans la foi, qui ose faire une demande, exprimer un désir de formation. L’erreur est de penser que ces personnes qui demandent un accompagnement pour un moment spécifique de leur cheminement dans la foi sont des exploiteurs, des gens qu’on ne reverra pas, qu’ils profitent et abusent du système et de la communauté chrétienne qui les reçoit. Avec une telle attitude, peut-on se surprendre que les églises se vident ?
Ce que l’andragogie nous enseigne c’est le caractère gratuit de l’intervention. Le formateur, la formatrice n’intervient pas par égocentrisme, mais bien parce qu’il ou elle a appris que toute demande de formation est importante, qu’elle doit être respectée et mis en œuvre. Comme je l’ai mentionné plus haut, c’est l’apprenant, l’apprenante qui est maître de sa formation. La gratuité, nécessite de la part des agents et agentes de pastorale et des pasteurs, qu’ils n’aient pas comme but ultime de remplir les églises. Cela exige des agents et agentes de pastorale, et des pasteurs qu’ils prennent au sérieux toute demande de formation. Il est sage de se rappeler que :
« L’activité catéchétique et pastorale est requise à accompagner ces passages et ces transitions pour ceux et celles à qui est donnée l’intuition qu’il y a là quelque nourriture soutenante et quelque lumière rassurante pour poursuivre leur route. »
Une des implications majeures de cet élargissement du champ catéchétique à la totalité de l’expérience humaine est de penser le processus catéchétique dans une perspective de gratuité.
La gratuité incitera les formateurs et formatrice dans la foi à être toujours plus présents à la culture dans laquelle ils baignent. Il sera possible d’adapter les formations aux personnes qui les demandent.
La gratuité nous pousse à regarder et à écouter le monde qui nous entoure et dont nous faisons partie. Quelle peut être la crédibilité d’un formateur ou formatrice qui s’enferme dans sa tour d’ivoire et tient un discours en marge de ce qui se vit. Il est comme ces prisonniers enchaînés au fond de cette caverne sombre que Platon nous propose dans l’allégorie de la caverne. Il est possible de demeurer dans notre caverne et de voir notre culture à travers les ombres qui y sont projetées. L’autre façon est d’aller dehors et de vivre en plein soleil. Cette culture est aussi la nôtre elle n’est pas étrangère à moi, en dehors de moi mais partie intégrante de moi. C’est aussi cela l’andragogie. Le véritable échange c’est cette parole partagée qui vient du plus profond de soi. Le « qui-je-suis » est maintenant capable d’entrer en dialogue avec le « qui-tu-es ».
Ainsi, ensemble il est possible de s’écouter, de cheminer de part et d’autre vers la vérité, vers la maturité spirituelle. Une telle attitude exige de la part des formateurs et formatrices dans la foi une grande humilité, tout comme l’enseigne l’Évangile. Il faut relire et intégrer dans le quotidien l’attitude de Jésus lors du dernier repas :
« Jésus se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge dont il se ceint. Il verse ensuite de l'eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint… Lorsqu'il eut achevé de leur laver les pieds, Jésus prit son vêtement, se remit à table et leur dit : «Comprenez-vous ce que j'ai fait pour vous ? Vous m'appelez "le Maître et le Seigneur" et vous dites bien, car je le suis. Dès lors, si je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous devez vous aussi vous laver les pieds les uns aux autres; car c'est un exemple que je vous ai donné : ce que j'ai fait pour vous, faites-le vous aussi. »
Cette attitude de serviteur plutôt que de maître facilitera le dialogue entre culture et foi. Il ne faut pas non plus oublier, certains textes de Vatican II qui nous montre la voie :
Mais la vérité doit être cherchée selon la manière propre à la dignité de la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, avec l'aide du magistère, c'est-à-dire de l'enseignement, de l'échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu'ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s'aider mutuellement dans la quête de la vérité; la vérité une fois connue, c'est par un assentiment personnel qu'il faut y adhérer fermement. Mais c'est par la médiation de sa conscience que l'homme perçoit les injonctions de la loi divine; c'est elle qu'il est tenu de suivre fidèlement en toutes ses activités pour parvenir à sa fin qui est Dieu.
Le dialogue s’établira, permettant autant au formateur ou formatrice qu’à l’apprenant ou l’apprenante dans la foi de cheminer ensemble. Ceci est un autre principe important en andragogie qui reconnaît que le formateur est aussi un apprenant.
Ainsi, l’analyse approfondie de l’andragogie devrait permettre d'améliorer les modèles proposés en éducation de la foi des adultes. De plus je crois que l’approche andragogique pourrait contribuer au rapprochement entre la culture d’ici et l’Église comme institution traditionnelle.
L’utilisation de l’approche andragogique, engendrera un dynamisme si nécessaire à nos communautés chrétiennes. Elle nous permettra d’apprendre comment on peut ensemble faire Église autrement. Ainsi la P(p)arole se libère et jette un pont si nécessaire entre culture et foi. C’est pourquoi ce second levier m’apparaît si crucial car porteur de fruits nouveaux et d’une espérance renouvelée. Il permet à chacun et chacune de s’accueillir mutuellement sans jugement et de faire route ensemble vers la maturité spirituelle que les personnes d’ici cherchent à atteindre par tant de chemins, quel engendrement ! « Un tel engendrement ne se fait pas à partir d’un enseignement à assimiler ou d’une morale à observer. Il s’agit plutôt de faire surgir, d’une vie, au creux d’une expérience unique, un signe d’Évangile qui touche et met en mouvement. »
Je sais, qu’il existe d’autres leviers de transition à mettre en place mais je crois qu’il me faut m’arrêter ici en espérant que d’autres personnes accepteront de participer à cette réflexion sur la relation entre culture et foi, sur comment construire des ponts et comment « acculturer » la foi ?
J’aimerais terminer en posant quelques questions qui pourront alimenter votre réflexion. Elles sont inspirées de la conférence donnée par Jacques Grand’Maison dont j’ai fait mention plus haut.
Je termine par une citation d’André Fossion qui est la conclusion de son livre Une nouvelle fois :
« Aussi le christianisme qui vient ne sera-t-il pas uniquement le résultat de nos efforts ; il sera aussi le fruit neuf, inattendu, surprenant du travail de l’Esprit au cœur du monde. »
Alberich Emilio, Les fondamentaux de la catéchèse, Novalis/Lumen Vitae 2006, 390 pp.
Alberich Emilio et Binz Ambroise, Adultes et catéchèse, Novalis/Cerf/Lumen Vitae 2000, 253 pp
Aerens, Luc, "Mener la transition vers la catéchèse de cheminement”, Revue Lumen Vitae, vol. LV, 2000, n o 2 pp 149-169
Aerens, Luc, “Organiser la catéchèse sans exiger une inscription obligatoire ?” Revue Lumen Vitae, vol. LX, 2005, n o 3 pp 341-358
Bacq Philippe, “Quelle figure d’Église pour une catéchèse inculturée ?”, Revue Lumen Vitae, juin 1999 n o2 pp 125 à 134
Baum Gregory, “Deux points d’interrogation, l’inculturation et le multiculturalisme”, Concilium 1994 n o 251, p121-127
Comité de théologie de l’assemblée des évêques catholiques du Québec, Mission de l’Église et culture québécoise, Fides 1992, 51 pp.
Fossion André, Une nouvelle fois, vingt chemins pour recommencer à croire, Éditions de l’Atelier/Novalis/Lumen Vitae, 2004, 174 pp.
Giguère Paul-André, Catéchèse et maturité de la foi, Novalis/Lumen Vitae, 2002, 164 pp.
Girard Marie-Claude, “Catholiques de culture ?” Journal Le Droit, Ottawa-Gatineau, Édition Week-end 15 et 16 avril 2006
Grand'Maison Jacques, “Enjeux de culture et de foi pour l'avenir de l'Église et de notre société” conférence prononcée à l'occasion de la rencontre annuelle du Réseau Culture et Foi en 1997.
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