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En marche : à pied, en auto, en vélo…

Michel Proulx, o. praem.,
Leçon inaugurale de la rentrée académique, 27 août 2014

Pour venir étudier à l’Institut, vous allez avoir besoin de vous déplacer. Je ne sais pas quel moyen de transport vous utiliserez. Peut-être que certains ont la grâce d’habiter tout proche et vont venir pied ou à bicyclette. D’autre vont utiliser l’autobus ou le métro. Ce sera peut-être l’auto, ou comme moi, le train de banlieue. Quoi qu’il en soit, pour venir suivre vos cours, pour participer aux diverses activités pédagogiques, vous aurez à vous déplacer. Ce que je dis là peut paraître bien banal. Et pourtant… Quand on y pense bien, ce sont ces déplacements là qui vont vous ouvrir, je le soupçonne, à des déplacements et à une mise en route d’un tout autre ordre.

I – La mise en route dans la tradition biblique

Il est intéressant de réaliser d’entrée de jeu que la grande aventure du peuple de Dieu débute justement par un appel à prendre la route, par un appel à se mettre en marche. En Gn 12,1 le Seigneur dit ceci à Abram : « Quitte ton pays pour le pays que je te montrerai (…) Et Abram partit. » On note au passage qu’Abram sait d’où il part, mais il ne sait pas où cela va le conduire. Il ne connaît pas non plus quel est l’aboutissement de l’itinéraire qu’il entreprend.

Plus tard, les hébreux aussi devront se mettre en route et cheminer longuement dans le désert pour atteindre des horizons de liberté. Leur exode vers la liberté va passer par un long déplacement. Et ce qui est impressionnant, c’est qu’eux aussi partent vers un ailleurs qu’ils ne connaissent pas au point de départ. Ils sont loin de soupçonner à quel point ce déplacement sera éprouvant et à quel point il sera long.

Et quand on y pense bien, notre Maître, Jésus, n’a-t-il pas lui-même passé une grande partie de son temps en déplacements sur la route ? Les Évangiles nous donnent de le voir sans cesse reprendre le chemin. On dit parfois de lui qu’il a été un prédicateur itinérant. Tout cela est en mis en valeur d’une manière particulière dans l’Évangile de Luc où la plus grande partie de l’Évangile consiste en une montée de Jésus à Jérusalem. En Mc, au chapitre 11, Jésus, accompagné de ses disciples, fait des allers-retours entre Jérusalem et la banlieue. Il vit un peu ce que vivent nos contemporains qui travaillent à Montréal et qui retournent dans leur ville dortoir de banlieue. Jésus va au boulot (prêcher) à Jérusalem et il retourne se reposer en banlieue, dans la région de Béthanie et du Mont des Oliviers. Et pour ce faire, lui aussi doit chaque fois traverser un cours d’eau (minuscule !), le torrent du Cédron.

On sait aussi comment Jésus appelle ses disciples à marcher à sa suite. L’appel qu’il leur lance est vraiment une invitation à se mettre en route avec lui, derrière lui. Pensons, par exemple, en Mc, à l’appel de ses 2 premiers disciples à qui il dit : « Venez à ma suite » (Mc 1,17) ou encore à l’appel de Lévi à qui il dit : « Viens, suis moi ! » (Mc 2,13). Mais « suivre », cela veut aussi dire « avancer ». Suivre fait avancer. Il semble que cela fasse partie de la condition essentielle d’un disciple de Jésus que d’être en marche, en route, en chemin, en déplacement. Nous pouvons penser aussi à des récits de guérison où Jésus dit à une personne paralysée quelque chose du genre « Lève-toi (…) et marche ! » (Jn 5,8). C’est comme si Jésus disait à la personne : « Ne reste pas écrasée sur place ! Va de l’avant ! Deviens une personne en marche ». À ce propos, il est peut-être bon de se rappeler qu’au tout début de l’Église, les disciples de Jésus se désignaient, entre autres, comme les « disciples de la Voie » ou « les disciples du Chemin » (odos en grec). Par exemple, on lit en Ac 9,1-2 :

Saul, ne respirant toujours que menaces et carnage à l’égard des disciples du Seigneur, alla trouver le grand prêtre et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s’il y trouvait quelques adeptes de la Voie (odos), hommes ou femmes, il les amenât enchaînés à Jérusalem.

Nous pouvons penser que si les chrétiens se désignaient ainsi, c’est, entre autres, parce qu’ils étaient disciples de Quelqu’un que l’on considérait comme « le Chemin, la vérité et la vie » comme le rapporte l’évangéliste Jean (14,6).

Nous pourrions penser également aux disciples d’Emmaüs. C’est en marchant, c’est en voyageant sur la route qu’ils cheminent intérieurement, qu’ils se déplacent dans leur manière de concevoir les choses, que leur point de vue sur Jésus change. Au fur et à mesure du chemin, ils progressent en intelligence des Écritures. Les yeux de la foi s’ouvrent au fur et à mesure de leur cheminement sur la route. Ce déplacement prépare leur reconnaissance du Ressuscité.

Par ailleurs, Saint Paul est une illustration forte de ce dont nous parlons. Il a passé sa vie de chrétien en chemin. C’est d’ailleurs sur la route qu’il s’est converti et que la lumière s’est faite pour lui. C’est sur la route qu’il a vécu sa mystérieuse rencontre du Ressuscité : une rencontre qui lui a ouvert une nouvelle trajectoire, un nouvel itinéraire de vie.

II - La mise en route des études pastorales

Quels liens pouvons-nous faire entre ce que nous venons de voir et les études pastorales ? Les études pastorales et les études théologiques ne sont-elles pas de l’ordre d’un parcours, d’un chemin à parcourir ? Accepter d’étudier les choses de la foi, n’est-ce pas accepter de se mettre en route ? N’est-ce pas accepter d’aller de l’avant, accepter de se déplacer intellectuellement, spirituellement, intérieurement ? S’embarquer dans un programme de pastorale, n’est-ce pas accepter d’être déplacé dans ses façons de voir, de penser…et peut-être même de croire, de témoigner, d’agir au nom de sa foi.

Nous sommes ici dans une Institution de formation. Cela signifie qu’il y a une composante pédagogique qui entre en jeu. Penchons-nous un moment sur le terme « pédagogie » : paidagôgia, en grec, de païs, enfant et agô, conduire, entraîner.

Dans la Grèce Antique, un pédagogue, c’était une personne, habituellement un esclave, qui conduisait un enfant à l’école et qui le ramenait à la maison. C’était aussi celui qui lui faisait repasser ses leçons. Le pédagogue avait vraiment affaire avec la route et les déplacements.  

Ici, à l’Institut de Pastorale, il serait plus juste de parler d’ « andragogie ». On retrouve le verbe grec agô (conduire) et le mot andros qui renvoie non pas à un enfant, mais à un homme adulte. Il s’agit donc d’une pédagogie qui consiste à accompagner des adultes sur la route de ses apprentissages.

L’Institut devrait vous accompagner et vous conduire là où vous pourrez faire des apprentissages significatifs. On pourrait dire aussi de l’Institut qu’il est un véhicule pour aller plus loin. Ce soir, nous prenons le train ensemble pour aller plus loin.  

Il me semble que chacun des personnages bibliques que nous avons évoqués tantôt a quelque chose à nous dire en regard du parcours d’études, du parcours andragogique que nous vivrons durant cette année académique.

Abram

Il me semble qu’Abram nous invite à accepter de quitter le déjà-connu pour pouvoir nous ouvrir à l’inconnu, à la nouveauté. Il me semble qu’il y a dans le départ d’Abram une invitation à aller possiblement vers une autre façon d’entrer en relation avec Dieu, à aller possiblement vers une autre façon de voir Dieu. Lors de son appel, Dieu a dit à Abram « Quitte ton pays (…) pour le pays que je te ferai voir » (Gn 12,1). L’usage du futur indique qu’il y a quelque chose à découvrir dans ce qui est devant, dans ce qui est en avant. Il y a quelque chose qui n’est pas défini pour le moment et qui se situe dans l’à-venir.

L’exode des hébreux

Il me semble que l’aventure des hébreux au désert nous offre une sorte de mise en garde. C’est comme si avant de prendre la route, on nous prévenait que nous pouvons nous attendre à rencontrer des obstacles, à vivre des temps d’insécurités, des temps de désert, des temps de doutes. Comme les hébreux, certainEs vivront peut-être même des temps de révolte, des temps d’incompréhension. Le contenu des cours peut nous brasser fortement à certains moments. À cause de tout cela, comme les hébreux qui ont souvent été tentés de retourner en Égypte, nous pourrions être tentés de penser que nous étions mieux dans notre foi avant de commencer le voyage de ces études; nous pourrions penser que c’était plus reposant avant d’apprendre toutes ces nouvelles choses, que c’était plus reposant quand nous ne nous posions pas tant de questions.

L’exode des hébreux, qui a duré 40 ans, est aussi une invitation à accepter de mettre du temps. C’est une invitation à être patient. Se déplacer, arriver à destination, ça ne se fait pas instantanément. Il y a souvent des bouchons de circulation, des détours qui nous empêchent d’arriver à destination aussi rapidement que nous le voudrions. Et c’est la même chose dans le domaine du cheminement intellectuel, dans le domaine du cheminement à travers des études pastorales. Il faut accepter de mettre du temps pour s’approcher de nouveaux horizons, pour pouvoir contempler la beauté de paysages qui nous étaient inconnus jusqu’à maintenant.

Jésus et ses disciples

Tout au long de ses déplacements vers Jérusalem, Jésus a invité ses disciples au dépouillement. Il les appelés au service et à la fidélité malgré les souffrances que cela pouvait occasionner. On se souvient des paroles provocantes de Jésus à ses disciples : « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix, et qu’il me suive. » (Mc 8,34) ou encore « celui qui voudra devenir grand parmi vous, sera votre serviteur » (Mc 10,43). Dans les études, on ne se le cachera pas, il y a une dimension de souffrance. Suivre des cours demande de la discipline. Il y a des travaux à produire, des examens à subir. Mais étudier, c’est une façon très concrète de répondre à l’appel au service. C’est une façon très concrète de servir l’Église, de servir les hommes et les femmes de notre temps, de se mettre au service de la Parole. Étudier, c’est une façon de prendre sa croix en vue de devenir des serviteurs qualifiés pour les besoins des communautés chrétiennes d’aujourd’hui. Il y a donc une invitation pour nous à entrer courageusement dans ce parcours d’études, malgré la dimension de la croix. Car nous savons que la croix, avec la résurrection qui a suivi, est porteuse de fécondité.

Les disciples d’Emmaüs

Dans leur déplacement de Jérusalem à Emmaüs, les deux disciples ont été amenés par le mystérieux Personnage à faire des liens entre leur vécu de la dernière fin de semaine et les Saintes Écritures. Le Ressuscité leur a fait faire des rapprochements entre ce qu’ils ont vécu à Jérusalem et les témoignages des Saintes Écritures. À travers ce processus, l’Étranger de la route les a aussi amenés à réévaluer leur façon de concevoir le Messie attendu, leurs préjugés.

Comme les disciples d’Emmaüs, nous aussi, si nous voulons avancer dans nos études pastorales et théologiques, nous devrons accepter d’être remis en question dans nos conceptions, dans ce que nous pensions déjà savoir, dans nos pré-jugés sur la foi, dans nos manières d’intervenir en pastorale. Nous aussi nous aurons à laisser questionner tout cela par les témoignages des Saintes Écritures et par la grande tradition de l’Église. Comme les disciples ont dû être remués sur la route jusqu’au fond d’eux-mêmes (ils sont quand même passé de la désespérance à l’enthousiasme de la foi !), nous aussi allons devoir nous impliquer viscéralement, existentiellement dans notre cheminement. Voilà des carrefours qu’il faudra obligatoirement traverser pour devenir progressivement des témoins qualifiés du Christ ressuscité, pour être progressivement transformés en missionnaires compétents de l’Évangile.   

Saint Paul

Une des choses frappantes chez Paul, c’est qu’il n’a pas été un penseur en chambre. Il n’était pas non plus un intellectuel enfermé dans une bibliothèque ou un enseignant se limitant à la synagogue ou à une salle de classe. Paul a été un homme constamment sur la route et sur la mer. Il a été un missionnaire de première ligne, travaillant en équipe avec des collaborateurs et des collaboratrices. Mais aussi, c’était un homme qui malgré les distances ne perdait pas le contact avec les communautés chrétiennes. Sa réflexion, sa pensée théologique, elle s’enracine dans la vie concrète de l’Église; elle part des besoins de clarification, des défis rencontrés par les communautés.

Je pense que ce que nous voulons vivre cette année à l’Institut, ce n’est pas un « trip » intellectuel, nous ne voulons pas partir en orbite, mais nous voulons avancer comme Paul, sans laisser en arrière nos liens d’appartenance avec la communauté chrétienne, sans perdre de vue notre enracinement dans la vie et dans la pratique pastorale concrète de l’Église.

III - Et les profs dans tout cela ?

Quel est le rôle des professeurs dans tout cela ? À quoi pourrions-nous comparer les professeurs ? Quelle image du monde des transports et des déplacements pourrions-nous utiliser pour traduire au mieux leur mission à l’Institut ? Est-ce que nous pourrions les comparer à des chauffeurs d’autobus ou à des opérateurs de métro, du fait qu’ils conduisent les étudiants plus loin ? Est-ce que nous pourrions les comparer à des guides touristiques de voyages organisés, du fait qu’ils font découvrir aux étudiants des paysages nouveaux, des régions de la foi et de la vie spirituelle encore inconnues pour eux ? Devrions-nous plutôt les comparer à des passeurs qui font franchir des frontières ou encore à ces sherpas de l’Himalaya qui conduisent les alpinistes vers de hauts sommets ?

Il me semble qu’il y a quelque chose de juste dans chacune de ces images, mais en même temps -- je ne sais pas ce qu’en pensent mes collègues -- chacune de ces images me laisse insatisfait. Et ce, parce que chacune d’elle laisse entendre que le professeur est quelqu’un qui connaît déjà bien tout l’itinéraire à parcourir. Or, en ce qui me concerne, je suis loin de tout connaître du chemin à parcourir et des zones à explorer. Dans le domaine des choses de la foi et de la vie spirituelle, dans le domaine de la pastorale et de la connaissance de Dieu, je suis toujours en marche, je suis encore un chercheur. Et je suis porté à penser qu’il doit en être de même de mes collègues.

Alors comment représenter les professeurs ? Je dirais que ce sont des explorateurs accompagnateurs ou des accompagnateurs explorateurs, je ne sais pas ce qui est le mieux. Quoi qu’il en soit, ce sont des explorateurs et des exploratrices qui ont une expérience certaine, qui ont développé des habiletés et une expertise dans l’exploration et qui, à cause de cela, peuvent accompagner, stimuler, encourager ceux et celles qui viennent prendre la route avec nous. Et ceux et celles qui viennent se joindre à nous comme étudiantEs, nous reconnaissons que ce sont eux-mêmes des explorateurs qui ont déjà toute une expérience à leur actif. Il peut même y avoir des bouts de l’itinéraire qu’ils connaissent mieux que nous, les professeurs. La communauté de l’Institut de cette année me fait penser à une cordée d’escalade. Dans une expédition d’escalade en montagne, les alpinistes sont attachés ensemble par une corde. Ils forment ensemble ce qu’on appelle une cordée. Oui, il y a un premier de cordée qui ouvre la voie, mais c’est toute la cordée qui avance et qui est en mode « exploration ». Ce sont tous les membres de la cordée qui s’encouragent, qui se soutiennent dans la marche. C’est ensemble qu’ils franchissent les étapes difficiles. Et parce qu’ils sont ensemble, ils ont le courage et la force d’aller beaucoup plus loin, beaucoup plus haut, que si chacun s’aventurait seul à faire le même parcours.

Alors, que vous veniez à l’Institut à pied, en auto ou en vélo, n’oublions pas que ce n’est là que le point de départ d’un voyage, j’oserais dire d’un « pèlerinage » qui nous mène beaucoup plus loin, vers des espaces intérieurs, vers de nouveaux horizon de vie et de foi.

En ce début d’année académique, je vous souhaite : « Bonne route ! » « Bon voyage ! ».

Institut de pastorale des Dominicains
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