Rémi Bourdon, ptre
Texte d'une entrevue à Radio Ville-Marie, le 23 mars 2011,
dans le cadre de la série d'émissions "Croire d'hier à demain",
produite par l'Institut de pastorale, animée par Christine Cossette.
CC – Rémi Bourdon, pour mieux comprendre le contexte socioreligieux d’aujourd’hui et pouvoir envisager l’avenir, vous nous suggérez d'abord un survol de l’histoire de la catéchèse au cours des siècles.
Oui, je pense que ça peut nous éclairer, tant pour voir d'où on vient que pour clarifier les modèles mis en oeuvre aujourd’hui. Je propose de diviser cette histoire en quatre grandes époques.
CC – Au tout début de l’histoire de l’Église, comment devenait-on chrétien ?
Entre l'an 250 et la fin du 5e siècle, c’est l’époque de première conversion massive des populations de l’empire romain. Le nombre des croyants s’accroît par la conversion d’adultes qui deviennent chrétiens. Quand une personne se convertit, elle doit s’initier à la vie chrétienne avant d'être admise aux sacrements.
Cette démarche d’initiation, qu’on appelle déjà catéchuménat, s’échelonne sur deux ou trois ans : un cheminement en plusieurs étapes avec des périodes d’enseignement, des rites intégrés à la progression vers l’étape finale : la célébration du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie dans le cadre de la veillée pascale. Pendant leur catéchuménat, les catéchumènes doivent participer à la première partie de la messe du dimanche.
Au début du carême de la dernière année de leur démarche, ceux qui sont acceptés aux sacrements portent le titre de competentes, un mot latin qui veut dire "compétents". Pas en n’importe quoi mais en "histoire du Salut". Ce dernier temps de carême était plus exigeant que d’habitude. Pour se préparer, on demandait aux competentes de jeûner plus que les autres et de participer à des catéchèses sur les grandes vérités de la foi, pour que leur profession de foi soit réfléchie et authentique.
CC – Comment en sommes-nous arrivés à abandonner cette démarche cathécuménale de la pré-chrétienté et par quoi l’avons-nous remplacée ?
Comme l’ensemble de la population est devenue chrétienne, il n’y a presque plus de conversions, donc le catéchuménat d’adultes devient peu fréquent. Par ailleurs, les parents chrétiens commencent à demander massivement le baptême pour leurs enfants. On assiste alors à une inversion des étapes : le temps de préparation qui précédait le sacrement du baptême est reporté de plusieurs années, à l’âge de 7-8 ans.
Vers le 7e siècle c’est le début de la chrétienté : tous les secteurs de la société sont subordonnés à la tutelle de la religion chrétienne. Le christianisme imprègne progressivement toutes les activités, individuelles et collectives : la famille, le village, la paroisse, le clergé, la culture, l’éducation la politique, etc. La catéchèse confiée aux prêtres consiste à expliquer aux fidèles le Credo et le Notre Père, qu’ils doivent mémoriser.
Il faut souligner l’importance de la vie liturgique des communautés comme terreau d’apprentissage catéchétique. Toute la vie sociale se déroulait au rythme des dimanches et des fêtes, au rythme des célébrations pour les naissances, les mariages et les décès. À toutes ces occasions, on entendait les prédicateurs, on pouvait regarder les images, les sculptures et les vitraux qui décoraient les églises. Mais par contre, même si la masse de la population est alors baptisée, elle n’est pas nécessairement christianisée, notamment dans les campagnes.
CC – Ça veut donc dire qu’en quelques siècles, on est passé massivement du paganisme au christianisme, d’un monde païen à faire entrer dans l’Église à un monde baptisé qu’il fallait maintenant éduquer dans la foi. Vous avez dit plus tôt qu’on appelait les adultes catéchumènes des "compétents en histoire du Salut". Je dois comprendre que la Bible avait la première place dans la catéchèse. Comment se fait-il qu’on est passé d’une catéchèse biblique au catéchisme, comme nos grands-parents ont appris ?
Vers le 14e siècle apparaît un changement dans la pédagogie de la foi qui, encore aujourd’hui, continue à alimenter certains débats. On remplace alors l'approche biblique, sous forme de récits, d’histoires racontées, par une approche de catalogue des vérités de la foi définies de façon de plus en plus abstraite. Cette approche priorise l’acquisition des savoirs de la foi, des notions, des concepts pour l’ensemble de la doctrine chrétienne. On pourrait dire qu’on passe de la bonne nouvelle à accueillir dans son coeur, à la bonne doctrine à savoir dans sa tête.
CC – Je vois bien que ce passage à "la bonne doctrine à savoir dans sa tête" préparait bien l’époque du "petit catéchisme" dont plusieurs se souviennent encore au Québec. Mais qu’est-ce qui justifiait ce besoin de mémoriser fidèlement la doctrine sous le mode de "questions –réponses" ?
Au 16e siècle, on assiste à la division de l’Église occidentale, notamment en Allemagne avec Luther. Ce qui entraîne un double mouvement de réforme : la réforme protestante et la contre-réforme catholique. Dans les deux cas, il s'agissait de combattre des superstitions qui tournaient à l'idolâtrie, tout cela dû à une profonde ignorance religieuse héritée de la chrétienté médiévale. Les réformateurs protestants et catholiques étaient convaincus qu’il fallait combattre ce mal collectif par l’enseignement systématique de la doctrine chrétienne. Pour ce faire, la formation des pasteurs devenait prioritaire, pour une meilleure prédication et pour implanter partout des écoles. L’outil de base fut donc le catéchisme. Du 16e au 20e siècle, le catéchisme devient l’outil essentiel pour toutes les Églises chrétiennes, d'abord en Europe, puis partout dans les missions, y compris chez nous, alors la Nouvelle-France. C’est en 1702 qu’un premier catéchisme a été imprimé ici pour le diocèse de Québec à l’initiative de Mgr de Saint-Vallier, deuxième évêque de Québec.
Il faut rappeler que le tout premier catéchisme était protestant, rédigé par Luther en 1529. Le catéchisme officiel catholique romain, nommé le Catéchisme du Concile de Trente, fut publié en 1566, 3 ans après la fin de ce concile. Ce n’est qu’en 1992 qu’un deuxième catéchisme officiel est paru, 27 ans après le concile Vatican II.
Que le catéchisme soit protestant ou catholique, c’était la même méthode pédagogique des questions et des réponses fixes pour mémoriser fidèlement la doctrine authentique et se prémunir contre les erreurs des hérétiques.
CC – En guise de récapitulation, pouvez-vous souligner particulièrement les déplacements d’accents qui se sont produits entre les trois époques que nous venons de couvrir ?
La première époque, dite catéchuménale, était centrée sur la fréquentation de la Bible comme histoire du Salut. Sa visée était l’adhésion personnelle des païens à Jésus Christ, suite à leur conversion. La deuxième époque veut assurer que des enfants baptisés tout-petits soient inscrits dans une culture chrétienne populaire et s’en imprègnent, sous l’autorité d’une classe cléricale qui organisait la vie religieuse quotidienne. Pour eux, les énoncés doctrinaux devenaient prioritaires, et la Bible devenait un réservoir de références pour appuyer les thèses théologiques. À la fin du Moyen-âge, tout était en place pour en arriver à la production de catéchismes centrés sur le souci de la doctrine. Ils ont été en usage pendant quatre cents ans.
CC – Puis il y a eu Vatican II et le renouveau catéchétique. Qu’est-ce qui caractérise cette nouvelle époque ?
Le renouveau catéchétique initié dans les années 70 s’est fondé pour une bonne part sur l’approche anthropologique. Concernant les enfants, on a voulu rejoindre leur expérience concrète, partir de leur vécu pour les amener à le transposer dans le contexte évangélique. Par exemple, on part de leurs expériences d’amitié pour passer aux expériences d’amitié vécues avec Jésus et ses amis. Ou encore, on fait comprendre l’Eucharistie en la comparant à des fêtes d’anniversaires. Alors on peut dire que l’Eucharistie, c’est la grande fête de la famille de Dieu.
Mais on s’est rendu compte que ce genre de transposition ou de superposition conduisait peu d’enfants à une expression de foi chrétienne dans leur prière. On avait rapproché Jésus des enfants en le valorisant par le meilleur des expériences humaines, mais les enfants ne s’étaient pas beaucoup rapprochés du Christ de la foi.
On s'aperçut vite, en effet, qu'une éducation de la foi uniquement ancrée dans 1'expérience humaine faisait surgir de nouvelles difficultés. A force d'accentuer les aspects positifs et heureux de l'existence, les catéchistes en vinrent à cultiver un optimisme quelque peu utopique qui n’appelait nullement l'adhésion de foi proprement chrétienne. La dimension humaniste de l’Évangile servait en quelque sorte de renforcement positif à ce qu’il y a de bon dans l’expérience humaine.
CC – Vous parlez des enfants, mais je pense qu'on faisait aussi ce type de catéchèse avec les adolescents ?
Oui, je peux aussi apporter un exemple de l’approche anthropologique pour l’enseignement religieux des adolescents. En deuxième secondaire, le programme traitait de l’expérience existentielle propre à cet âge : les départs, les ruptures et la quête d’une nouvelle identité. Pour ce faire, on exemplifiait ce processus de croissance à partir de l’histoire d’Abraham qui est parti, a quitté son pays, pour marcher vers l’inconnu. Encore une fois, cette lecture psychologisante du récit reléguait à l’arrière-plan l’élément déclencheur et la cause du départ d’Abraham, à savoir l'initiative de Dieu qui entre en relation avec lui et l'invite à mettre en lui sa confiance. Finalement, cette approche permettait probablement aux ados d’augmenter leur confiance en eux-mêmes, mais les interpellait peu au plan de leur relation avec foi Dieu qui pouvait les accompagner sur ce nouveau chemin.
Il faut se rappeler ici le contexte socioreligieux des années soixante-dix : le monde scolaire était déjà passablement sécularisé. Les jeunes enseignants du primaire, pour plusieurs, étaient mal à l’aise à enseigner une religion qu’ils ne pratiquaient plus. Les jeunes parents de cette génération fréquentaient peu l’église et parlaient peu de religion à la maison. On peut dire que la culture de postchrétienté était déjà en train de s'installer, et les structures scolaires confessionnelles commençaient à être sérieusement remises en question.
Finalement, en 1983, un premier pas est fait pour déscolariser l’éducation de la foi des enfants. Dans leurs nouvelles orientations pastorales, les évêques du Québec confient aux communautés chrétiennes la charge de l’initiation sacramentelle. À l’école, on ne parle plus de catéchèse mais d’enseignement religieux confessionnel. Et bien que le contenu soit confessionnel, l'enseignement n'est généralement pas "confessant", compte tenu du malaise de plusieurs enseignants. On est donc bien loin de la catéchèse.
Les évêques souhaitent que les enfants vivent une expérience d’immersion dans la vie et la foi de la communauté, une initiation globale à la vie chrétienne, avant d’être initiés par les sacrements. Mais cette vision est un peu idéale, car elle présuppose l’existence de communautés d’accueil, éventuellement des communautés catéchisantes. On s’est vite rendu compte que l’organisation de la catéchèse des enfants fonctionnait plutôt en parallèle au reste de la vie communautaire.
CC – Pouvez-vous illustrer en quoi consistait le fonctionnement en parallèle dont vous parlez ?
Dans la pratique, les activités de formation chrétienne se déroulaient en trois lieux différents, trois organisations autonomes qui arrivaient mal à se coordonner : l’école pour l’enseignement religieux, la communauté des pratiquants du dimanche pour s’initier à l’Eucharistie et à l’appartenance ecclésiale, et troisièmement le groupe des enfants catéchisés.
En 2005 le gouvernement du Québec a aboli le cours d’enseignement religieux scolaire, pour le remplacer en septembre 2008 par le cours d’éthique et de culture religieuse. Les évêques du Québec ont accueilli favorablement cette décision. Ce changement historique a placé toutes les paroisses et les parents devant de nouvelles responsabilités. Dans le document Jésus Christ, chemin d’humanisation, les évêques précisent ce qu’on entend par initiation chrétienne :
L'initiation chrétienne est une démarche structurée par des temps et des étapes, des rites et des célébrations. Elle comporte aussi un cheminement catéchétique. La catéchèse d'initiation propose une première appropriation de l'Évangile, "centrée sur le noyau de l'expérience chrétienne, sur les certitudes de la foi et sur les valeurs évangéliques les plus fondamentales". Elle se réalise dans le cadre d'une "formation organique et systématique de la foi", qui est plus qu'un enseignement : elle est un apprentissage de toute la vie chrétienne, une "initiation chrétienne intégrale" qui permet une vie authentique à la suite du Christ, centrée sur sa Personne.
Mettre en pratique cette définition nécessite une organisation sans précédent pour les paroisses : un nouvel investissement en ressources humaines et matérielles, en recrutement de bénévoles et en formation. Je voudrais souligner l’engagement de nombreux parents, surtout des femmes, dans ce nouveau chantier catéchétique. D’ailleurs plusieurs se sont mises elles-mêmes à approfondir leur foi en même temps que leurs enfants. Dans les paroisses qui ont relevé le défi d’un nouveau projet catéchétique, on assiste à une revitalisation de la communauté chrétienne et à un renouvellement du bénévolat.
CC – Ce nouveau projet catéchétique a-t-il été bien accueilli par tout le monde ?
Ce changement ne s’est pas fait sans réactions de la part des parents habitués jusque là à peu de contraintes : conduire leurs enfants à 4 ou 5 rencontres préparatoires au sacrement et participer à une soirée d’information sur la célébration elle-même.
Quand des paroisses ont voulu appliquer les nouvelles orientations des évêques, en augmentant le nombre de rencontres de catéchèse à une dizaine et plus, un bon pourcentage de parents ont décidé de ne pas inscrire leurs enfants. Parmi ceux-là, certains ont réagi fortement en considérant qu’ils avaient droit au sacrement, que quelques rencontres d’information suffisait amplement pour que leurs enfant comprennent le quoi et le comment de la communion et de la confirmation.
Je peux parler d’expérience puisque j’ai été responsable diocésain de l’implantation du projet catéchétique dans mon diocèse. Les catéchètes me référaient, en dernier recours, les parents qui ne voulaient rien entendre d’une initiation à la vie chrétienne qui allait prendre trois ans, à raison d’une quinzaine de rencontres par année.
J’ai fait très souvent du "dialogue pastoral téléphonique" avec des parents, pour tenter de leur faire comprendre, un à un, que toute initiation se fait dans la durée et l'expérimentation. J’apportais des exemples comme apprendre un instrument de musique, ou s'initier à un sport. On ne devient pas guitariste ou violoniste en cinq leçons, ou encore joueur de soccer ou de hockey en une ou deux fins de semaine intensives. La plupart finissaient par saisir que leur demande de rites de passages ne correspondait pas à la mission d’évangéliser pour transformer la personne en profondeur. Comme Église, nous sommes loin d’être sortis de cette confusion qui a été entretenue par le contexte historique, mais qu’on a le devoir de clarifier, en raison même de notre mission pastorale. Je comprends que des paroisses n’arrivent pas encore à organiser un véritable parcours d’initiation à la vie chrétienne, mais je ne comprendrais pas que des pasteurs jugent encore adéquate et suffisante une offre de 4-5 rencontres préparatoires aux sacrements.
La disparition de l’enseignement religieux scolaire a été une chance pour les communautés chrétiennes, justement parce qu’on peut maintenant mettre en oeuvre un itinéraire intégré d’initiation à la vie chrétienne. C’est un défi pour la communauté, qui doit devenir un lieu effervescent de vie fraternelle, de vie de prière et de célébration signifiante, et aussi un lieu d’engagement dans la société.
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